Édito
Être soeurs pour être plus fortes !
Nous sommes le 16 juillet 2019 au moment où je rédige l’édito pour le programme de la saison à venir pour le CCN¹. Ce même jour, je reçois un communiqué de presse de l’ACDN, l’association des Centres dramatiques nationaux, qui commence comme cela : « Le 11 juillet 2019, lors de l’Assemblée Générale de l’ACDN, nous recevions Agnès Saal, haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et à la prévention des discriminations, qui nous présentait les orientations proposées par l’État pour lutter contre les discriminations dans les milieux de l’art et de la culture, à partir d’un rapport faisant état de la situation particulièrement discriminatoire à l’égard des femmes dans nos professions… »
Rappelons que l’État a fait de la lutte contre les inégalités femmes hommes un des fers de lance médiatiques de son projet gouvernemental. Pourtant, au moment où notre secteur traverse une grave crise sur la question des violences faites aux femmes, il semblerait que cette problématique semble bien loin d’être prioritaire dans les esprits. D’après les enquêtes nationales de la SACD (Société des auteur•rice•s et des compositeur•rice•s dramatiques) et de l’observatoire de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication, les artistes femmes peinent à être programmées dans les lieux culturels. Le public n’en a souvent pas conscience mais lorsque l’on visite une exposition artistique ou l’on assiste à un concert, une pièce de théâtre, un spectacle de cirque ou de danse, on est face à une grande majorité d’artistes masculins.
La culture est un puissant vecteur de changement des mentalités. Agir concrètement en faveur de l’égalité femmes hommes dans la culture peut avoir une influence positive sur l’ensemble de la société. Au Centre chorégraphique national ¾, la parité, l’accessibilité aux œuvres, la diversité des propositions et des publics sont des questions qui sont au cœur du projet artistique, et aussi du projet de lieu et de vie. Devant le constat de l’absence d’évolution de la profession face aux inégalités, il est temps pour nous de révolutionner et de se questionner sur ces mécanismes de domination et d’exclusion, qu’ils soient professionnels, culturels, familiaux, sociétaux. C’est la raison pour laquelle le CCN¹ insiste sur la création au féminin, en continuant de développer une dynamique positive autour de l’engagement artistique des femmes dans la création et en continuant de mettre en valeur cette création féminine dans la programmation danse à Orléans.
Si la question de la place des femmes dans la création a toujours été une préoccupation forte dans mon projet, et ce depuis mon arrivée, nous ne l’avons pas communiqué ou énoncé clairement dans ce sens. Aussi, il est temps pour moi de nommer, de RENDRE VISIBLE L’INVISIBLE.
Pour ma prochaine création avec le CCN — Ballet de Lorraine en 2020, de nouvelles collaborations prennent en compte ce désir de mettre en avant la création des artistes femmes de ma génération : la designer KOCHÉ et Chloé la musicienne et DJ m’accompagneront dans cette aventure. Pour ma création suivante en 2021, je rendrai hommage aux compositrices en créant une pièce autour du répertoire féminin allant des musiques du Moyen Âge aux musiques actuelles (de Kassia à Moor Mother).
En 2020, après le portrait consacré à Anne Teresa de Keersmaeker, un parcours de spectateur•rice est conçu par le CCN¹ autour de la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues et de son spectacle Fúria programmé par la Scène nationale. Figure de la danse contemporaine, familière de la France, très engagée à Rio de Janeiro avec son école de danse dans la favela de Maré, Lia Rodrigues présente son travail à Orléans pour la première fois. Quel corps politique aujourd’hui ? Au Brésil, il y a un an, le 1er janvier 2019, le président d’extrême droite Jair Bolsonaro a pris officiellement ses fonctions. Son gouvernement a entraîné le pays dans une division, une fracture profonde entre ceux qui combattent sa politique et ceux qui la défendent. Le moins que l’on puisse dire est que cet ancien militaire, nostalgique de la dictature, homophobe et raciste, a déjà laissé des traces dans son pays. En partenariat avec le Centre national de la danse, le Cinéma les Carmes, la Scène nationale d’Orléans, la complicité des artistes Evangelia Kranioti et Volmir Cordeiro, le CCN¹ s’engage dans un parcours et un soutien pour l’art au Brésil. Films, installation vidéo, conférence, performance, spectacle et ateliers inédits seront proposés comme une pluralité de voix et d’œuvres qui questionnent sans relâche la résistance, l’identité et la marge. On vous invite à cheminer avec nous dans ce large portrait qui vient pointer l’urgence et la nécessité de rendre visible ces « révolutions intimes et collectives », telle une main tendue pour être ensemble et solidaires dans ces temps agités.
Soulèvements, manifestations, actes de rébellion se manifestent partout, près de chez nous ou ailleurs. Les artistes accueilli•e•s en résidence au CCN¹ ces prochains mois font entendre et voir ce monde fragmenté et nous confrontent à ces questions politiques à travers leur langage. Il•elle•s ont choisi de parler de l’invisible, de la marge, de questionner l’accélération et la surenchère, ou encore de parler d’un corps non productif. Pour ces corps aliénés, quelles stratégies de rébellion et de revendication ? Avec une équipe de dix-sept interprètes, Jan Martens travaille l’immobilisation comme acte de résistance, un repli collectif à contre-courant. Nina Santes interroge l’état zombie, l’engourdissement, le corps errant. Matthieu Barbin parle d’un autre corps, celui au travail, de sa capacité de transformation et sa portée politique. Nadia Beugré s’entoure elle d’une équipe exclusivement masculine pour mieux défaire la notion de genre et mettre en question notre regard. Chacun a souhaité ouvrir les portes du studio et partager le travail en cours avec les Orléanais•es. Ne manquez pas ces rendez-vous précieux !
Précieux sont aussi les moments que nous passons ensemble à danser, discuter, pratiquer. Le CCN¹ est une maison dédiée à une danse à portée de tou•te•s. Beaucoup ont apprécié la soirée Groove nation et nous gardons bien en tête d’y revenir ! En mars, la performance DJ Battle avec Régis Badel et Julien Tiné clôt la dixième édition des Soirées performances de la Scène nationale au CCN¹. En avril, JEUNES GENS MODERNES, le festival du CCN¹ revient pour le plaisir de toutes et tous ! Ce temps fort autour de la musique et de la danse sera entièrement dédié à la création par des femmes, ce qui lui vaudra, pour cette édition spéciale 2020, d’emprunter un nouveau costume et un nouveau titre : JEUNES GENS FEMMES MODERNES ! Trois jours de performances, de concerts, d’exposition, de conférences et d’ateliers au CCN¹, en partenariat avec l’Astrolabe en compagnie des artistes telles que Mette Ingvartsen, Katerina Andreou, Aloïse Sauvage, Jacky Elder et Charlotte Imbault…
Tout au long de l’année, le CCN¹ œuvre activement au développement de la culture chorégraphique auprès des enfants, des jeunes et des étudiant•e•s à Orléans et dans sa région. Beaucoup de ces projets ont lieu dans le cadre scolaire. Ils sont, de ce fait, rarement visibles pour les publics. Pourtant, ce travail est une des priorités du CCN¹. Dans la continuité de cet engagement, chaque année le CCN¹ propose un projet participatif dédié à la jeunesse. En partageant la richesse du répertoire en danse (Le Sacre du printemps de Vaslav Nijinski en 2017/2018, enfant de Boris Charmatz en 2018), chaque projet invite les plus jeunes à vivre des expériences artistiques et humaines riches et émancipatrices. C’est aussi l’occasion pour ces artistes en herbe de se confronter à la scène et au public. Cette année, avec la re-création de Jours étranges de Dominique Bagouet, le CCN¹ propose une pièce dansée par seize jeunes orléanaises sur la musique des Doors. Venez les encourager au Théâtre d’Orléans en juin prochain lors du temps fort organisé avec la Scène nationale et durant lequel toute une jeune génération s’empare du Théâtre, dedans comme dehors !
— Maud Le Pladec
Directrice du Centre chorégraphique national d’Orléans
juillet 2019